Thriller par Bruce Swedien

Alors que nous célébrons depuis quelques jours les 39 ans de la sortie de “Thriller” (1982), l’album le plus vendu de tous les temps, le magazine “Future Music” a ressorti une interview que leur avait accordée Bruce Swedien en 2009.

“The Master of Sound” avait accepté de passer en revue chaque titre de l’opus.

En route pour les nostalgiques de cette époque…


Il s’avère que, même avec tous les talents impliqués dans la réalisation de l’album, Bruce Swedien n’aurait jamais pensé que “Thriller” connaîtrait un tel succès : “Je pense que quiconque aurait les c******* de dire cela est un menteur parce que vous n’en savez vraiment rien jusqu’à ce que cela soit diffusé publiquement et que les gens se disent “Wow, c’est vraiment bien !”.

Tout ce que nous avons fait, c’est suivre Quincy Jones sur la voie de la meilleure musique que nous puissions faire avec, en plus, une passion pour les détails. Quincy est un homme tellement remarquable avec qui travailler – et Michael aussi. Je veux dire, nous nous sommes bien amusés.

Michael n’était jamais en retard pour une session – si besoin il venait en avance. De plus, je n’ai pas souvenir d’avoir enregistré Michael avec les paroles devant lui. Il restait éveillé la nuit avant de mémoriser la ou les chansons que nous étions sur le point d’enregistrer. Je ne pense pas qu’il y a beaucoup d’artistes qui font ça.

Quand nous parlons avec Bruce, nous avons presque l’impression que l’album vient juste de sortir : “Avec Michael, il n’y avait pas de morceaux difficiles à mixer. Travailler avec Michael et Quincy est simple comme bonjour. Ils sont si musicaux – et la passion pour la qualité que nous partageons a rendu le travail sur ces projets – en particulier Thriller – très facile.

Thriller a été enregistré chez Westlake Audio à Los Angeles, où Bruce avait déjà travaillé. “J’adore ce studio – c’est tout simplement fantastique”, dit-il. “La pièce dans laquelle vous enregistrez est toute aussi importante que les micros. Quand j’enregistre quelque part, j’ai une collection de 105 microphones – chaque microphone que j’ai a été acheté neuf et personne d’autre ne l’a jamais utilisé. Cela protège mon intégrité sonore. Je les ai utilisés pour ce son incroyable.

1. Wanna Be Startin’ Somethin’

Ce morceau parle des femmes des frères de Michael et de la façon dont elles créaient toujours des problèmes – c’était son inspiration.

Cela commence avec beaucoup de percussions. Il y a des boîtes à rythmes et des batteries en direct et d’autres choses. C’est une boîte à rythmes Univox. En fait, nous l’avons beaucoup utilisée sur le disque des Brothers Johnson, et nous l’utilisions à l’époque sur le disque de Michael aussi. Je pense que c’est une SR55. J’ai toujours la mienne et elle fonctionne toujours.

Nous avons conçu chaque boîte à rythmes pour éviter le captage secondaire et le son réfléchi à l’intérieur de la pièce. De plus, nombreuses de ces boîtes à rythmes ont beaucoup de graves. Comme Roland avec la 808 ; elle a des graves comme vous ne pouvez pas l’imaginer et si vous faites passer le son par un haut-parleur, tout s’évanouit. Alors captation directe avec un module – c’était une tuerie.

J’ai essayé un tas de nouvelles choses en enregistrant la batterie sur le disque de Michael – j’ai fait faire une housse pour la grosse caisse. J’avais l’habitude d’enlever la tête avant de la grosse caisse et de placer quelques vrais parpaings lourds à l’intérieur pour la maintenir immobile. Ensuite, je mettais cette housse et le micro passait à l’intérieur par une ouverture à glissière dans la housse, puis fermez bien, branchez et le reste appartient à l’histoire.

2. Baby Be Mine

“C’est John Robinson qui joue les percussions sur ma plate-forme de batterie. Je l’utilise toujours et Michael a fait toute sa voix sur cette plate-forme de batterie. C’est non peint, non verni, (…) et en élevant la source sonore par rapport au sol, cela empêchait le captage secondaire si j’enregistrais d’autres instruments.

Bien sûr, nous avions aussi des claviéristes incroyables. Nous n’avons jamais embauché quelqu’un qui ne pouvait pas jouer.

Nous avons utilisé le même micro et le même préampli tout au long de l’album – j’ai utilisé mon Shure SM7, numéro de série 232, ce qui est ancien. Ils ont fabriqué tellement de SM7 qu’ils n’ont même plus mis de numéro de série dessus par la suite.

J’ai exprimé assez clairement à quel point j’aime ce microphone, c’est un excellent micro. C’est bien sûr dynamique et cela a parfaitement fonctionné avec Michael – vous remarquerez que vous pouvez entendre toutes les paroles très clairement.

Le préampli micro que nous avons utilisé était un Neve 1084 – j’en ai deux dans un magnifique coffret en chêne et je les emportais avec moi d’une session à l’autre. Quincy a dit que travailler avec moi et déplacer mes affaires d’un studio à l’autre, c’était comme travailler avec la Cinquième Armée. Vous devez vous dévouer à ce point pour le son d’un projet. Vous devez aimer ce que vous faites.”

3. The Girl Is Mine

“C’est en fait le premier morceau que nous avons enregistré pour l’album, un duo entre Michael et Paul McCartney avec qui c’était un vrai plaisir de travailler. C’était un gentleman, il est venu au studio préparé – Linda McCartney était avec lui et nous avons passé un moment fabuleux.

Nous avions enregistré “The Girl Is Mine” et le titre était déjà sorti avant que nous ayons terminé l’album. Quincy venait tous les matins et mettait quelques stations de radio locales et elles jouaient toutes “The Girl Is Mine”, donc ça nous rendait de suite très sérieux sur notre travail.

Fait intéressant, nous avons toujours enregistré avec Michael dans l’obscurité – il détestait la lumière. Je veux dire qu’il y avait un peu de lumière pour lui, mais le studio était absolument sombre. Je pense que l’une des raisons pour lesquelles il le voulait – et pourquoi ça fonctionne tellement bien – c’est, d’après mon étude de l’acoustique, j’ai découvert que l’être humain est avant tout un animal visuel, l’ouïe est notre deuxième sens. Les gens peuvent être distraits par trop de lumière dans le studio dans la mesure où cela peut les détourner de la musique.”

4. Thriller

“Quand nous avons fait la chanson “Thriller”, l’intro en particulier, Rob Temperton – qui a écrit le morceau – l’avait conçue pour comporter des hurlements de loup. À l’époque, il y avait un film de Sherlock Holmes, “Le Chien des Baskerville”, qui avait ça un énorme chien – un grand danois – dedans qui hurlait et bien sûr j’avais ça en tête.

J’ai automatiquement pensé à mon Dogue Allemand qui pourrait entrer dans le show-business ! Alors j’ai essayé de lui faire faire ces hurlements et vous savez quoi ? Il ne l’a jamais fait. Nous l’avons mis dans la grange la nuit pour écouter le coyotes et moi avec mon enregistreur je me tenais prêt. C’était un chien fantastique, 100 kilos, il s’appelait Max. Je me suis dit “ce serait génial qu’il fasse ces hurlements sur le disque” mais il ne l’a tout simplement jamais fait ! Il ne voulait pas être dans le show-business.

Mais vous savez qui c’est qui fait ces hurlements de loup ? C’est Michael Jackson, nous avons dû faire en sorte que Michael les fasse à la place, mais il l’a fait si bien. Il y a certains sons là-dedans mais Michael a fait ces hurlements de loup.

Et bien sûr, nous avons eu Vincent Price pour la partie parlée. Il était génial. Il y a une belle histoire à propos de Rod Temperton qui a écrit les paroles de cette partie dans le taxi sur le chemin du studio!

Pour les portes qui grincent, je suis allé à Universal Studios à Hollywood, le terrain de cinéma, et j’ai loué deux ou trois portes à effets sonores et je les ai amenées à Westlake et j’ai passé une journée entière à auditionner ces portes et à écouter de très près les charnières . C’est une vrai porte que j’ai enregistrée et ajoutée sur la piste. En y repensant, c’était peut-être Michael qui faisait le bruit des pas aussi, en fait.

5. Beat It

Le synthé d’introduction figurait dans un patch Synclavier d’origine; n’importe quel Synclavier produisait ce son. Nous l’avons aimé mais nous voulions que tout soit méconnaissable, unique, donc nous ne voulions pas utiliser ce son, mais Michael l’a adoré et a fait en sorte que nous le gardions.

Le point culminant pour moi a été le solo de guitare. Ce solo de guitare est incroyable – quand Eddie [Van Halen] est venu jouer, il était au Studio B à Westlake et j’étais au Studio A avec Michael et Quincy, mais j’y suis allé quand il était en train d’accorder sa guitare et de s’échauffer. Je suis reparti immédiatement. C’était si fort, je ne soumettrais jamais mon ouïe à ce genre de niveau de volume sonore ! Je n’ai pas enregistré ce solo, j’ai engagé son ingénieur du son – j’ai pensé que son ouïe serait probablement plus adaptée à ce moment en tout cas. J’ai ensuite fait le mix après l’enregistrement.

6. Billie Jean

Cette chanson était vraiment personnelle – Michael était chez lui à Havenhurst et une fille s’est faufilée par-dessus le mur. Elle se prélassait au bord de la piscine – bien sûr, les agents de sécurité sont venus et l’ont jetée dehors, mais elle a finalement poursuivi Michael en affirmant qu’il était le père d’un de ses jumeaux. C’était assez ridicule.

Une basse fantastique – le bassiste est Louis Johnson des Brothers Johnson – et j’ai récupéré le son avec une boîte de direct (DI), que j’ai toujours – il y a un transformateur UTC – je l’avais eu quand je vivais à Chicago et la lowend (les fréquences les plus basses) est incroyable – très chaleureuse.

La batterie sur cette piste est géniale – j’avais un panneau d’isolation acoustique mobile autour de la batterie qui a beaucoup aidé l’insonorisation. J’avais un SM57 sur la caisse claire, un RCA 77DX sur la cymbale, [Neumann] U67 sur chacun des toms et j’ai utilisé un Sennheiser sur la grosse caisse – je ne me souviens pas exactement lequel. Et puis une paire de U67 pour les sons d’ambiance et ça sonnait assez bien.

Ce qui me frappe, c’est que j’ai enregistré toute la section rythmique de Thriller sur un magnétophone 16 pistes et non 24 pistes. J’utilisais alors 24 pistes, mais le bruit de fond était si élevé que ça a rendu les choses un peu difficiles alors j’ai travaillé en 16 pistes sans réduction de bruit pour obtenir ce que je voulais. Directement dans la machine sans aucune réduction de bruit, le résultat est quasi imbattable !

Je suis même allé jusqu’à faire venir la console portable à 12 entrées au son absolument spectaculaire de mon pote George Massenburg pour enregistrer la section rythmique.

L’unité d’effets de réverbération principale que nous avons utilisée était l’EMT 250. J’en ai toujours une et je l’utilise sur tous mes projets. J’ai aussi une EMT 252 avec le logiciel 250 dedans qui donne une réverbération au son superbe et j’utilise également quelques-unes de [la marque] Lexicon.

Pour les cordes de Billie Jean, je visais un vrai son classique – pas du tout un son pop. Quand j’ai commencé mon travail à Chicago des années avant, j’avais enregistré un orchestre symphonique, donc je sais comment peut sonner un bon enregistrement orchestral. Je ne pense pas qu’il y ait de basses sur ces cordes mais c’était du violon, de l’alto et des violoncelles et c’était absolument classique dans l’approche.”

7. Human Nature

Un morceau écrit par Steve Porcaro de Toto [avec John Bettis]. Il a joué et programmé beaucoup de synthés. C’est un morceau de musique vraiment incroyable ; c’est tellement différent, et Michael le chante si bien. Je ne me rappelle pas quels synthés ont été utilisés dessus, mais c’était vraiment facile de mixer ce morceau parce qu’il est si bien conçu. [Steve Porcaro] est un musicien phénoménal.

8. P.Y.T.

La chanson “P.Y.T.” a été écrite par James Ingram et Quincy Jones. Nous avons utilisé beaucoup de Minimoog [synthétiseur analogique monophonique, ndlr] – notre programmeur de synthés qui était là tout le temps était Michael Boddicker. Il a programmé le Minimoog et il possédait les synthés qui avaient les meilleurs sons du moment. (…)

En fait, nous l’appelions Lily ! Lily Tomlin était une grande star à l’époque et elle jouait un personnage où elle était standardiste avec souvent des câbles de raccordement autour du cou. Michael Boddicker avait l’habitude de se promener dans le studio avec des câbles de raccordement autour du sien, alors Quincy a commencé à l’appeler Lily.”

On lui doit une grande part de P.Y.T. – c’est programmeur de luxe. Quant à l’emploi du vocodeur pour un disque pop, on ne s’est jamais demandé si c’était la bonne chose à utiliser. Lorsque vous travaillez avec le talent et la stature de Michael Jackson et avec Quincy Jones dans le studio, ce sont des questions qui ne se posent jamais.”

9. The Lady In My Life

Rod Temperton a composé ce titre. Rod était très différent de tous ceux que j’ai connus dans le monde de la musique – c’est le compositeur de musique pop le plus discipliné que j’aie jamais rencontré. Quand il venait au studio, chaque détail musical était écrit ou encore il ne s’arrêtait jamais tant qu’il n’était pas sûr que la musique sur laquelle nous travaillions était capable de tenir la route.

Rod et Quincy étaient deux vrais géants de l’industrie. Je n’oublierai jamais la fois où Rod m’a demandé d’écouter un groupe appelé Heatwave, du Royaume-Uni. Rod travaillait avec eux et il avait une approche tellement américaine du son et de la musique, mais il venait de Grimsby. Il avait une appréciation intrinsèque des valeurs urbaines dans la musique populaire – je veux dire le vrai truc du ghetto.

Il y avait des jeunes qui écrivaient des chansons pour Michael et ils n’avaient jamais rencontré Rod et quand ils ont entendu sa musique et ils ont pensé qu’il était cool. Mais quand ils l’ont rencontré, ils ont dit ‘Rod, je pensais que tu étais jeune et noir ! [et ils le découvraient] …. vieux ! Et blanc ! … Et britannique !

Sources : musicradar.com / Future Music / MICHAELzine

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