Bubbles,… c’est moi !
Il y a une scène fascinante dans le film “Stormy Weather” de 1943 qui, aussi brève soit-elle, résume l’éclat virtuose du danseur John W. Bubbles. Selon la nouvelle biographie poignante et révélatrice, “Sportin’ Life: John W. Bubbles, an American Classic”, cela aide également à expliquer pourquoi ce pionnier des claquettes est pratiquement inconnu aujourd’hui.
Coiffé d’un chapeau melon et faisant tournoyer une canne, Bubbles, dans le rôle d’un meurtrier effronté nommé Domino Johnson, se précipite dans un cabaret et déclenche une avalanche de pirouettes, de pas glissés et d’arrêts brusques et nets à la fois familiers et étranges. Les trajectoires serrées, la manière de tirer son chapeau, la façon dont il fige sa jambe avec la tête inclinée, un genou plié : c’est familier parce que vous avez vu les mouvements dont se sont inspirés Bob Fosse, James Brown et Michael Jackson.
La limpidité et la fluidité de Bubbles sont impressionnantes. Il maîtrise parfaitement son corps, un corps qui vole dans des directions différentes puis enchaîne les mouvements si vite que vous pourriez soupçonner qu’il y a une ruse cinématographique au montage. Soit dit en passant, il chante aussi, effrontément, et flirte avec les dames à leurs tables, les taquinant avec de petits coups d’épaules. Il émane un glamour énergique. Une scène magnétique faite de surprises visuelles.
“Sportin’ Life”, de Brian Harker, auteur de livres sur Louis Armstrong et le jazz, est la première histoire de la vie de cet artiste de la danse, un fait étonnant compte tenu de sa renommée d’antan. Pendant 36 ans, Bubbles a fait partie de l’équipe de chant et de danse “Buck and Bubbles”, l’un des partenariats les plus durables de l’histoire du vaudeville. Le duo a été présenté lors de la première émission télévisée au monde en 1936. Ils ont été conduits à Londres par le prince de Galles lui-même, avant l’abdication, après une performance commandée pour Edward et sa pas encore épouse Wallis Simpson.
Même dans un contexte américain marqué par les tensions raciales à l’époque, Bubbles était un sujet parfait de film : grand, beau, un sourire ravageur . Un showman hors du commun. Dans les très rares clips qui existent, il est naturel. Dans le long métrage « Varsity Show » de 1937, mettant en vedette Dick Powell et Priscilla Lane, Bubbles danse les claquettes avec brio (dans le rôle d’un concierge), accompagné de son partenaire pianiste Buck (né Ford Lee Washington). Cela, et la brève scène de Bubbles dans la “Cabin in the Sky”, c’est à peu près tout ce que Hollywood a voulu de lui.
L’industrie cinématographique avait alors un angle mort, mais pas George Gershwin.
Harker, qui enseigne l’histoire de la musique à l’Université Brigham Young, tire le titre de son livre du rôle principal que Bubbles a créé dans l’opéra entièrement noir de Gershwin en 1935 “Porgy and Bess”. Sportin’ Life était le méchant en vedette de cette production historique : un trafiquant de drogue dansant qui était dangereux et aussi – fidèle à la nature de Bubbles – irrésistible. Gershwin lui a donné le rôle; aucune audition nécessaire. Il l’appelait “Mon Bubbles”.
Parce que Bubbles était un danseur autodidacte, ne lisait pas de musique et n’avait aucune expérience de l’opéra, Gershwin a lui-même enseigné à son “protégé non conventionnel”, jouant du piano dans son appartement pendant que Bubbles était assis à côté de lui et chantait. Voilà une expérience qui change une vie ! Pour le reste de sa carrière, “It Ain’t Necessarily So”, un des titres de cet opéra est devenu, de manière non officielle, la chanson-thème de Bubbles. Gershwin a également incité Bubbles à utiliser ses fameux pieds pour danser les chansons note par note.
Avant la rencontre avec Gershwin, Bubbles avait déjà assuré ses chevilles pour 50 000 $. Son influence s’était propagée dans le monde des claquettes. Là où Bill “Bojangles” Robinson était vénéré pour son style léger et précis et ses motifs perfectionnés, Bubbles avait un style plus puissant, dynamique et spontané. La plupart des danseurs de claquettes de l’époque dansaient sur la pointe des pieds, mais Bubbles a baissé les talons, ajoutant de la complexité rythmique et de la syncope. Les adeptes l’ont surnommé “The father of rhythm tap”, le père des claquettes rythmiques.
A la différence de certaines stars capricieuses de l’époque avec qui il a collaboré (comme par exemple Judy Garland), Bubbles, était une personne calme, introspective et véritablement chaleureuse.
Le choix de Gershwin de confier le rôle à Bubbles était très audacieux. Car même si Bubbles était connu comme l’un des meilleurs danseurs de son époque, il n’y avait pas beaucoup d’opportunités pour les Noirs qui voulaient devenir chanteurs d’opéra.
Car les esprits de cette Amérique étaient marqués par la figure de Jim Crow. Pour rappel, le personnage de Jim Crow incarnait à travers une chanson et une danse de ménestrel populaire du XIXe siècle une manière de stéréotyper négativement les Afro-Américains. Il était interprété par des hommes blancs maquillés avec un visage noir (le “blackface”).
Pourtant, Bubbles est mort pauvre en 1986, à l’âge de 84 ans. Des admirateurs célèbres ont participé à ses funérailles, notamment Bob Hope, Liza Minnelli et Johnny Carson, dont Bubbles était un habitué de l’émission télévisée des années plus tôt. Bubbles était un peu revenu sur le devant de la scène alors qu’un vent de nostalgie soufflait sur les années 1950 et 1960. Dans les années 80, des rumeurs ont fait surface, note Harker, “que la pop star la plus en vue de l’époque, Michael Jackson, avait nommé son chimpanzé de compagnie [“Bubbles”] par rapport à ce grand danseur”.
En dehors des connaisseurs et des passionnés de claquettes, peu connaissent aujourd’hui le nom de Bubbles.
Harker trace méticuleusement les points où la discrimination raciale a limité les opportunités du showman sur les circuits de vaudeville et à Hollywood. Pourtant, Bubbles était désespérément amoureux du théâtre. Né John William Sublett Jr. à Nashville en 1903, il a reçu son nom de scène enfant d’un directeur de vaudeville captivé par sa nature optimiste. Comme évoqué plus haut, à 14 ans, il a fait équipe avec Buck.
“Nous avions l’air pauvres”, a déclaré Bubbles, “nous avons parlé comme si nous ne savions rien et nous avons dansé de manière insouciante”.
Cet air détendu cachait le secret du duo : la maîtrise absolue. “Dans leur virtuosité, Buck et Bubbles ont annoncé une nouvelle ère de réalisations noires”, écrit Harker.
Pourtant, l’héritage de Bubbles serait sûrement différent s’il avait eu la carrière cinématographique de, disons, Fred Astaire ou Bill Robinson. Harker pense que le racisme n’est pas la seule raison pour laquelle Bubbles n’a pas réussi dans les films. Certes, de nombreux vaudevilliens ont fait le saut vers le cinéma avec succès – Astaire, Ginger Rogers, George Burns, pour n’en nommer que quelques-uns – et il y avait des artistes noirs parmi eux. Robinson, Stepin Fetchit et Eddie Anderson « ont tous réussi à Hollywood malgré la couleur de leur peau », écrit Harker.
Alors pourquoi pas Bubbles ?
Harker avance un argument intéressant pour expliquer pourquoi le danseur a refroidi Hollywood : il était trop sexy. “Plus que tout autre problème”, affirme Harker, “les cinéastes étaient très probablement terrifiés par le puissant sex-appeal de Bubbles.”
Dans cette scène “Stormy Weather”, il y a une chaleur masculine qui rayonne à travers son agilité féline.
ll était si différent de Robinson, qui, par exemple, s’est associé à la jeune Shirley Temple dans «Le petit colonel», dans le rôle d’un domestique. En revanche, note Harker, “slinky sexy” est la façon dont la critique de cinéma Pauline Kael a décrit Bubbles.
Harker écrit : « Pour Clark Gable, le sex-appeal était la clé du succès; à l’inverse pour John Bubbles, ce fut fatal”.
Il reste stupéfiant que l’industrie du cinéma ait choisi de ne pas capitaliser sur le talent et le magnétisme de Bubbles. Les ironies et les injustices sont évidentes. Harker ouvre son livre avec Fred Astaire payant à Bubbles la somme astronomique de 400 $ pour une leçon de claquettes en 1930 – une décision extraordinaire.
Harker précise qu’Astaire lui-même n’a jamais communiqué sur cette leçon. Le récit vient de Bubbles, qui a raconté l’histoire dans plusieurs interviews publiées. Harker pense que c’est vrai, mais même si ce n’est pas le cas, écrit-il, cela marque un point. “La progression complexe d’Astaire… ne pouvait avoir lieu que dans un monde informé par les innovations de Bubbles. Que ce soit en étudiant avec l’homme en privé ou en l’observant de loin, le résultat était le même : Astaire a emprunté des idées à Bubbles. Tout le monde l’a fait.”
L’influence, cependant, n’était pas suffisante pour assurer l’immortalité. Le livre de Harker n’est pas seulement une histoire vivante, mais une réflexion poignante sur ce que l’art de Bubbles aurait pu accomplir de grand, si seulement le monde qui l’a applaudit ne l’avait pas cloisonné.
La conclusion de MICHAELzine : Au delà de toutes les influences dont Michael ne s’est jamais caché pour la danse , son art prend ses racines dans une histoire plus longue qui ne s’accommode pas avec l’immédiateté et la vision à court terme parfois développée par certains médias ou haters.
Comprendre Michael Jackson, c’est se pencher sur l’histoire américaine (mais pas uniquement) et non simplement le critiquer en disant qu’il n’a pas inventé le moonwalk ou a volé tel pas de danse.
Ce que montrait Michael Jackson sur scène et dans ses courts-métrages musicaux était d’une richesse insoupçonnée. Il proposait une synthèse qui était la sienne et qui du fait de ses talents innés pour la danse et la musique ainsi que sa créativité, a placé cette œuvre à un niveau jamais égalé.
Quand les haters avancent en faisant un inventaire à la Prévert que MJ n’a fait que copier ses prédécesseurs, ils utilisent un procédé malhonnête en n’envisageant pas que son œuvre puisse être en elle-même une proposition de synthèse à la fois reflet de sa personnalité, de son histoire, de sa vision de la société ainsi que de références et de problématiques de la communauté afro-américaine.
Sources : houstonchronicle.com / MICHAELzine