Edward Eyth évoque Captain Eo

Dans une interview accordée au podcast vidéo “Life After Movies Web Show” sur Youtube, Edward Eyth a évoqué son parcours et son travail sur le court-métrage 4D Captain Eo.

E. Eyth a notamment réalisé des story-boards et des dessins conceptuels utilisés par la production, des documents dont il est parfois possible de trouver des copies de travail aux enchères. [cf. News du 31/07/2021]

D’ailleurs le 2 février, de nouveaux dessins conceptuels d’Edward Eyth étaient proposés par la société Heritage Auctions :

Extraits:

Vous avez travaillé en tant que chef décorateur, concept artist, illustrateur de production. Comment expliqueriez-vous ces fonctions à quelqu’un qui n’est pas familier avec ces domaines dans lesquels vous avez exercé ?

Edward Eyth : « Effectivement, ma palette de travail dans l’industrie cinématographique est assez large.

J’ai travaillé dans une fonction différente pour une variété de projets. Le chef décorateur est en quelque sorte le superviseur du film accomplissant la grande vision du réalisateur, il contrôle les images du film, les décors, vous devenez la personne qui crée la plate-forme pour raconter l’histoire. C’est le titre le plus élevé que vous pouvez avoir dans le département artistique d’un film.

J’ai fait aussi du concept design, qui est probablement mon rôle préféré et le plus épanouissant parce que vous n’avez de cesse de passer votre temps à trouver des idées pour les visuels du film. Le chef décorateur  a la vue d’ensemble, il a souvent plusieurs « concept artist » en particulier sur un film de science-fiction.

On réfléchit au vaisseau spatial, aux extraterrestres, à certaines scènes, à quoi ressemble telle planète.

L’essentiel de mon travail se résume par ce que je qualifie par la formule « what if » (« Que se passerait-il si… »).

Si le réalisateur a besoin d’un vaisseau spatial sans avoir une idée précise de ce à quoi il pourrait ressembler, mon rôle est de proposer « Et si le vaisseau spatial ressemblait à ça… ou alors à ça…. »

Pour moi c’est là que la vraie créativité est à l’œuvre parce que vous spéculez en quelque sorte sur ce qui pourrait arriver et vous essayez de proposer quelque chose d’unique et d’original.

Quand je travaillais dans le divertissement le grand principe  était que nous devions faire des choses qui n’avaient jamais été vues auparavant.

Même sur le film « Le vol du navigateur » (1986) quand j’ai rencontré le réalisateur Randal Kleiser et qu’il a regardé mon book portfolio – j’avais fait des croquis qui ressemblaient à « Star Wars »  et des vaisseaux spatiaux typiques de science-fiction – sa remarque a été « ouais c’est génial et ça se voit que vous savez dessiner mais nous voulons faire quelque chose de différent. Que pouvons-nous faire avec un vaisseau spatial réfléchissant ? »

C’est donc devenu l’exercice structurant : « Et si… ».

C’est pour beaucoup ce que fait le concept artist, apporter des réponses à des hypothèses.

J’ai aussi été illustrateur de production, ce qui dans le métier, à l’époque où je travaillais dans l’industrie cinématographique, signifiait que vous aviez été embauchés pour parfois faire des story-boards, dessiner des scènes. Mais pour moi, je suis un designer, j’ai un diplôme en design et cela signifie concevoir, donc c’était un peu raté parce qu’un illustrateur est une personne qui met en quelque sorte les idées des autres sur papier et quand vous êtes plus un concepteur, vous proposez des idées et créez les visuels. Il y a en fait toutes sortes de chevauchements entre ces différentes fonctions. Dessiner des story-boards, c’est quelque chose que j’ai fait en attendant,  quand je ne pouvais pas obtenir ces postes de conception. C’était toujours amusant, j’étais encore à l’école et j’ai beaucoup appris sur la réalisation de films en travaillant avec de grands réalisateurs pour lesquels j’ai fait des story-boards ».

Vous avez obtenu un diplôme en design ?

Edward Eyth : « Oui, j’ai étudié le design industriel à l’université et je me préparais à devenir un concepteur de produits, en gros, la personne qui conçoit les téléphones, les bagages et toutes sortes de choses, donc j’étais destiné à concevoir pour la production de masse.

Mais lors de mes deux derniers semestres à l’école, j’ai vu ce qui se passait dans l’univers du film avec « Star Wars »  où Joe Johnston a conçu la plupart des vaisseaux spatiaux et puis il y a un autre grand designer du nom de Syd Mead, décédé l’année dernière, qui avait réalisé les concepts pour « Blade Runner ».  Et je me suis retrouvé avec tout mon portfolio à penser à quel point ce serait amusant de travailler dans le divertissement …. Les extraterrestres, les vaisseaux spatiaux, d’autres planètes et d’autres technologies. Alors j’ai rassemblé un carnet de croquis avec l’espoir d’entrer dans l’industrie par une série de  rencontres opportunes et j’ai fini par travailler dans le cinéma, environ trois mois après avoir obtenu mon diplôme ».

Quel moment ou rencontre  a été le tournant qui vous a permis d’entrer dans l’industrie du cinéma ?

Edward Eyth : « Alors que j’avais assemblé ce portfolio de croquis de science-fiction pour compléter mon travail de production, l’un de mes professeurs connaissait Apogee Productions,  la société d’effets spéciaux qui avait fait « Star Wars », et qui était basée en Californie.

Il nous a mis en contact et j’ai déposé mon carnet de croquis là-bas quelques jours plus tard.

Randal [Kleiser] est venu discuter avec eux des options pour les effets spéciaux de son film « Le vol du navigateur » et ils ont montré mon carnet de croquis. Nous nous sommes rencontrés après cela et en quelque sorte, cela a fait boule de neige. Après cela j’ai pu quitter l’emploi à temps plein que j’occupais dans une entreprise de design industriel et travailler dans le cinéma ce qui était vraiment, vous le savez maintenant, mon rêve. »

Qu’avez-vous conçu, quelle était votre fonction sur le film « Le vol du navigateur » (pour les studios Walt Disney,ndlr) ?

Edward Eyth : « J’ai été initialement embauché pour travailler sur le vaisseau spatial et puis c’est devenu le vaisseau spatial, les créatures, bien sûr Max, le personnage principal, ainsi qu’à peu près tout le matériel et le véhicule robotique. (…)

Randal [Kleiser] est un gars formidable avec qui travailler. Je n’aurais pas pu choisir un meilleur film ou un meilleur réalisateur comme première expérience à Hollywood.

Il y avait quelques personnages que je n’ai pas conçus, et qui l’ont été par une société d’effets spéciaux, il y avait une autre personne nommée Laine Liska, qui a travaillé sur le film.

Liska était un sculpteur incroyable. Lui aussi a conçu certains des personnages du film ».

Avec les films, on imagine volontiers que tout le monde doit se plier aux contraintes du planning et du budget. Avez-vous ressenti une quelconque pression avec ce film mais aussi d’autres films sur lesquels vous avez travaillé ? Si les délais étaient serrés, comment avez-vous fait pour rester créatif et inspiré ?

Edward Eyth : « Sur ce point, j’ai eu plutôt de la chance. J’ai travaillé sur des films assez haut de gamme. Ils avaient des budgets assez décents et les réalisateurs étaient bien connus.  Donc ce cas il y a toujours de la pression et vous commencez à respecter les délais. Vous trouvez toujours des idées que l’équipe créative ou le réalisateur approuvent.

Je pense que les projets à petit budget sur lesquels j’ai travaillé et les projets qui n’ont pas été les plus médiatisés,  sont généralement ceux qui nécessitaient juste de longues journées de sommeil, un vrai luxe,  et vous y travaillez de longues journées et de longues heures.

Après, oui, les films à budget plus élevé semblent être ceux qui créent suffisamment de place dans le calendrier de pré-production pour vous permettre de faire avancer les choses.  

Vers la fin de la pré-production, vous êtes en quelque sorte prêts et parfois vous êtes rappelés. Parce que j’étais généralement le gars qui était embauché parmi les premières personnes.  (…) Après, quand la pré-production est terminée, à moins que je ne fasse des story-boards avec le réalisateur, il n’y avait vraiment pas besoin que je reste pendant la production.

Donc généralement, je passais au projet suivant. A de très rares   occasions, j’ai été sur le tournage ou sur le plateau quand les choses se passaient. »

Justement, quelles ont été ces occasions ?

Edward Eyth : « J’ai fait des story-boards sur film « Hook » et j’ai été rappelé quelques fois pour cela, donc je me souviens d’être allé sur les plateaux de tournage et d’avoir fourni des story-boards.

Le deuxième projet sur lequel j’ai travaillé, en fait je travaillais dessus en même temps que « Le vol du navigateur », c’était « Captain Eo » pour l’attraction du parc à thème.

Je travaillais sur « Le vol du navigateur », j’allais au studio tôt le matin vers 6 heures et je travaillais environ trois heures dans l’après-midi. Puis je traversais la ville en voiture pour rentrer chez moi, je dînais, puis je travaillais de 18h  à environ 23h sur les story-boards de « Captain Eo ». Et dans ce cas je me rendais au studio le lendemain matin, c’était le même studio où ils tournaient « Le vol du navigateur »,  et je remettais les planches. Généralement le producteur exécutif était assis là dans sa BMW, à m’attendre, je m’y rendais en voiture pour lui remettre en main propre une pile de story-boards et il allait directement au domicile de Michael Jackson pour les étudier.

Ça, c’était génial, parce qu’ils l’ont tourné  pendant que je travaillais encore sur « Le vol du navigateur » et j’avais la possibilité de me déplacer sur les tournages et de voir cet incroyable ensemble, Francis Ford Coppola diriger Michael Jackson avec George Lucas à la production. C’était un projet Disney donc, vous savez, le fait que j’ai même pu travailler dessus est tout simplement miraculeux pour moi. Mais c’était un super projet,  avec beaucoup de plaisir d’être juste là, sur le plateau et regarder les routines de danse, les répétitions et voir des choses pour lesquelles je travaillais d’arrache-pied.

C’était de la joie à l’état pur. Il ne s’est pas passé un jour sans que je n’aie été juste super excité de m’asseoir et d’avoir fait ce travail.  C’était juste un rêve devenu réalité. »

Y-a-t-il un rôle où vous avez apporté une contribution plus significative que d’autres ? A quoi ressemblent les processus de collaboration ?

Edward Eyth : « Chaque réalisateur a une approche différente. Le meilleur exemple est sans doute quand j’ai réalisé les story-boards pour  Steven Spielberg sur « Hook » :  je prenais souvent part à une réunion avec lui, parfois ces réunions duraient des heures et il s’asseyait avec une pile de feuilles A4 devant lui , qu’il regardait pendant un moment,  avec cette habitude de mettre son petit doigt dans le coin de sa bouche et juste regarder le papier. Il ne faisait pas de doutes qu’il était en train de visualiser mentalement le film et qu’il était déjà enregistré dans sa tête, il était juste en train d’adapter ce qui se passait dans sa tête et le mettre sur papier pour qu’il dessine des petits visages souriants et des personnages en bâton qui signifiaient des choses comme « d’accord, nous commençons par un gros plan sur Hook puis nous passons à un plan large, puis nous enchaînons avec un gros plan ici et puis deux plans ici » et juste plan par plan dans de petits croquis très simples me montrant ce qui se passait. J’étais assis là et avec fébrilité, je prenais des notes. Puis je m’éloignais avec une pile de ces dessins qu’il avait faits et je les rendais simplement plus présentables.

C’était intéressant parce qu’il savait jusqu’au cadrage ce qu’il voulait voir sur l’écran.

La surprise pour moi fut quand j’ai été embauché pour travailler sur « Captain Eo ».

J’ai fait du travail de conception là-dessus avec les gars des effets spéciaux pour le vaisseau spatial et différentes choses mais j’ai été principalement embauché pour faire des story-boards. J’étais tellement excité car lorsqu’ils m’ont dit, « nous avons besoin de story-boards », j’ai pensé « Oh mon Dieu travailler avec Coppola quel apprentissage !  Je vais pouvoir comprendre comment il pense et comment il réalise un film et tout… »

En fait, il s’avère que le producteur exécutif m’a remis le script et m’a dit de le mettre en forme, et je n’avais pas besoin de le rencontrer.

Le contraste est que Steven semblait savoir exactement tout ce que vous vouliez et parfois si j’avais une suggestion, je pouvais la placer là-dedans mais quand vous avez un conteur de ce calibre, je ne suis pas trop enclin à dire « Hé pourquoi ne changez-vous pas ce plan-ci ? ». Tandis qu’avec Coppola, on peut dire qu’il utilise davantage les story-boards comme un tremplin pour les idées.

Je suis une personne très visuelle, évidemment, donc si je lis un script et que c’est bien écrit, cela va apparaître dans ma tête comme un film. Je peux en quelque sorte voir les plans se dérouler. C’est donc exactement ce que j’ai fait : je me suis assis et j’ai esquissé les plans de la façon dont je pensais qu’ils seraient terminés s’il aimait le plan. Si selon lui, ils racontaient bien l’histoire, il les utiliserait.

Si ça ne lui plaisait pas alors il tournerait la scène comme il le voulait ou en fonction des paramètres imposés.

C’est la même chose pour le design. Il y a des réalisateurs comme George Lucas,  James Cameron – James Cameron qui a une formation d’illustrateur – , Joe Johnston qui a une formation de designer industriel , qui savent ce qu’ils veulent visuellement et qui sont très astucieux.

Ils ont une idée préconçue très claire de la façon dont ils veulent raconter l’histoire et à quoi devraient ressembler les images. Et puis, il y en a d’autres qui ont une vague idée,  par exemple Randal [Kleiser], et vous savez qu’ils sont très ouverts pour avoir votre propre contribution (…).

C’était juste passionnant de voir la façon dont les différents réalisateurs travaillent, le contraste entre leurs méthodes. »

Vous étiez quelqu’un qui se destinait à designer des bagages, des produits de la vie de tous les jours, et soudain, votre carrière n’a à peine que quelques années, vous voilà avec Coppola, Randal [Kleiser], [Robert] Zemeckis. J’imagine que cela doit être à la fois incroyablement intimidant et merveilleux.

Edward Eyth : « Enormément. C’était très époustouflant. Quand, trois mois après avoir fini l’université, vous êtes sur un plateau de tournage avec Michael Jackson, Coppola et George Lucas, je me dis intérieurement que j’ai du faire du bon travail.

Je reconnais avoir travaillé très dur à l’université où j’ai apprécié chaque jour que j’y passais.

Mais le fait est que je fais partie de ces personnes qui ont eu la chance de savoir à un âge précoce que je voulais être un artiste dans les arts visuels.

Comme pour beaucoup dans le divertissement, cela a  commencé par vouloir être un animateur pour les studios Disney.

Peu à peu cela a évolué vers le fait que je travaille sur des grands films.

Mais je n’ai travaillé dans le divertissement à Hollywood que pendant environ cinq bonnes années.

Ensuite, j’ai déménagé à New York, et j’ai fini par travailler pour la société de Jim Henson pendant 9 ans environ pour la direction créative. »

Conservez-vous tous vos croquis, designs, story-boards ? Sont-ils dans un musée ?

Edward Eyth : « A l’exception de quelques studios, je me suis fait un devoir d’avoir quelque chose dans mon mémo de contrat qui stipulait que je gardais les originaux car, par bon sens,  je savais qu’ils pourraient avoir une certaine valeur et aussi je voulais les garder pour mes archives personnelles.

Sur certains projets, par contre, comme « Captain Eo », les originaux ont été signés pour Disney, car vous travaillez pour une entité supérieure à une personne physique.

Mais pour la plupart, j’ai réussi à conserver une assez bonne archive du travail que j’ai fait et au cours des dernières années, j’ai vendu la plupart des portfolio, y compris ceux concernant « Le vol du navigateur », « Retour vers le futur », « Hook », « Rocketeer » qui ont été achetés par le musée d’art d’Hollywood dans le cadre de sa collection permanente. »

SCAD Savannah – Edward Eyth– Ruskin Hall – Photography Courtesy of SCAD

E. Eyth dispense aujourd’hui des formations de production designer dans un institut universitaire américain (SCAD).

Quoi qu’il en soit, Captain Eo est un projet qui laisse encore des étoiles dans les yeux d’Edward Eyth …

Sources : Life After Movies Web Show / Heritage Auctions / MICHAELzine

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