Enquête de sens
Lors d’un séance questions/réponses avec les fans le 29 août, John Branca s’est dit en colère contre la nouvelle certification de la RIAA qui place les Eagles devant MJ pour le titre de l’album le plus vendu de tous les temps aux USA. Il envisagerait avec Sony de lancer une enquête pour vérifier les chiffres validés par la RIAA.
Et sur ce point, John Branca, comme de nombreux fans, ont raison. La certification à 38 millions de copies pour la compilation “Their Greatest Hits 1971-1975″ des Eagles défie toutes les lois actuelles.
“Their Greatest Hits 1971-1975″ dépasse désormais de 5 millions d’unités écoulées l’album “Thriller” de Michael Jackson sur le sol américain. Pourquoi pas. Si 1 américain sur 8 a choisi d’acheter cette compilation, les personnes font ce qu’elles veulent.
Mais nous allons voir en quoi la certification annoncée pose problème.
Pour commencer, et avant de parler de la querelle des chiffres, faisons rapidement le point sur différentes erreurs des médias.
La première, c’était de dire que Thriller n’était plus l’album le plus vendu de tous les temps dans le monde. Ce qui est faux. Certains médias français mais aussi anglophones ont fait cette erreur.
La deuxième , c’est d’associer à ce “Greatest Hits” la chanson “Hotel California”. C’est comme parler de l’album de “Thriller” en ne faisant que parler de la chanson “Bad” ou de “Black or White”.
Ce volume du best-of des Eagles ne contient pas “Hotel California” mais pour vous faire comprendre qui sont les Eagles et en même temps vous faire accepter l’idée qu’ils soient devant un album aussi populaire que “Thriller”, on vous dégaine ce qui est pour la majorité des gens dans le monde, la seule chanson des Eagles qu’ils identifient.
Donc, les Eagles écoulent aux USA l’équivalent de 38 millions d’unités d’un best-of, avec des titres qui n’ont pas forcément marqué de manière aussi indélébile que “Thriller” vos années musique. “Hotel California” n’est pas concerné par la certification du “Greatest Hits”.
Les chiffres
Vous pouvez prendre toutes les informations que vous lisez sans vous poser de questions, après tout si la RIAA le dit, c’est vrai. C’est un organisme de référence. Indiscutablement.
Ou vous pouvez vous étonner de cette très forte progression que personne n’a vu venir et qui interroge…
La question du streaming
Avec l’évolution des habitudes des “consommateurs” de musique, différents organismes ont décidé de prendre en compte l’écoute en ligne ou le visionnage de vidéoclips par les internautes pour déterminer des équivalents de ventes.
Le principe ne fait pas forcément l’unanimité mais il s’applique par exemple à tous les artistes qui reçoivent des récompenses or et platine décernées par la Recording Industry Association of America (RIAA), que ce soit Michael Jackson, les Eagles.
Le calcul est le suivant depuis 2016 pour la RIAA : 1 500 lectures audio ou vidéo en ligne comptent pour une vente d’album.
En raison de ce changement, une tonne d’artistes ont vu leurs albums se transformer en or ou en platine du jour au lendemain: Kendrick Lamar, Big Sean, Shawn Mendes, Miranda Lambert, Hozier,…
Pour rappel, en 2006, date de la dernière certification, ce best-of des Eagles était certifié à 29 millions d’unités par la RIAA. Considérons logiquement, que les nouvelles 9 millions d’unités proviennent en partie du streaming.
Il y a alors un problème dans la tour de contrôle….
En effet, lorsque l’on compare les chiffres réels sur les plateformes de streaming entre les titres du volume 1 du Greatest Hits des Eagles et ceux de “Thriller”, Michael Jackson surpasse le groupe de rock.
Et quand on dit surpasse, on est parfois avec un total de streaming 3 fois plus élevé pour Michael : plus d’un milliard de streams pour les titres de “Thriller” contre plus de 300 millions pour ceux du Greatest Hits sur Spotify par exemple.
On pourrait alors penser que la différence est faite sur d’autres plateformes… mais ce n’est pas le cas.
On continue par Youtube avec des chiffres récents en date du 22 août :
Comme vous pouvez le constater, l’écart en faveur de MJ est encore plus important, et le résultat est sans appel : 15 fois supérieurs pour MJ/Thriller que pour le volume 1 du best-of des Eagles.
Et tout simplement, avec un seul titre, “Beat it” , Michael Jackson compte 4 fois plus de streams que tous les titres du best-of des Eagles réunis.
On pourrait alors à juste titre se dire que ce sont là des chiffres globaux qui concernent donc le monde mais pas précisément les Etats-Unis. Mais il n’y a aucun détail sur la manière dont sont localisés les streamings pris en compte pour les certifications.
Si l’on considère une plateforme comme Spotify, on peut néanmoins avoir pour chacun de ces artistes, une idée de l’importance de la fan-base qui les écoute en ligne.
Donc, ce que vous pouvez voir en ce qui concerne les États-Unis, et plus précisément la ville de Los Angeles, c’est que 169 005 personnes écoutent les Eagles, tandis que 583 020 personnes écoutent Michael Jackson.
Et pour Chicago, 149 861 personnes écoutent les Eagles tandis que 430 951 personnes écoutent le Roi de la Pop.
Les chiffres ne démontrent pas ici une quelconque domination des Eagles sur MJ aux États-Unis. En fait, soyons clairs, MJ les dépasse largement dans les deux villes américaines qui se trouvent dans le Top 5 des localisations de ceux qui les écoutent.
Donc, à partir de là, difficile d’imaginer que les Eagles dépassent aussi largement Michael Jackson aux États-Unis.
MJ est plus populaire que les Eagles aux USA, et à l’international, il les ratatine (par exemple, plus d’1 million de personnes qui écoutent du MJ à Londres via Spotify contre 169 813 pour les Eagles dans la même ville).
Vous l’aurez compris à partir de ces quelques exemples, ce n’est pas avec le streaming que le volume 1 du “Greatest Hits” des Eagles a pris l’équivalent 9 millions d’unités écoulées depuis 2006 sur le sol américain.
Explorons alors l’autre hypothèse : les ventes physiques des Eagles pour ce best-of sont-elles supérieures à celles de “Thriller” ?
Les ventes physiques
Selon les observateurs des charts américains, après 2006, à l’exception de 2016 (année de la mort de Glenn Frey, membre des Eagles), aucune année le Greatest Hits n’a devancé Thriller dans le classement des ventes d’albums de “back catalogue”.
Certaines années même, ce best-of des Eagles ne figurait même pas dans le Top 50. Comment dans ce cas aurait-il pu vendre 5 millions d’unités de plus que “Thriller” en 12 ans ?
Il faut dire qu’aux USA plusieurs organismes s’opposent avec des méthodes quelque peu différentes : Nielsen Soundscan et la RIAA.
Entre 1990 et juillet 2013, Nielsen Soundscan comptait 6 266 491 exemplaires de Thriller écoulés sur le sol américain contre 5 598 732 pour le “Greatest Hits” des Eagles.
Sur la même période, la RIAA a pour sa part validé 17 millions d’exemplaires écoulés pour ce best of des Eagles : Elle l’a certifié 12 disques de platine en 1990, 26 en 1999 et 29 en 2006.
Comment peut-on avoir une telle différence, en gros, 12 millions d’exemplaires d’écart sur cette période entre les chiffres de Nielsen Soundscan et ceux validés par la RIAA ? cela reste un mystère…
Nielsen Soundscan utilise une méthode très rigoureuse basée sur la collecte hebdomadaire des chiffres de ventes auprès des commerçants mais aussi de boutiques en lignes, de plateformes spécialisées dans la musique numérique.
Ce sont les données de Nielsen Soundscan qui sont utilisées pour les charts du magazine BillBoard.
Les fans ont déjà – et sur ce même site – mis en avant des incohérences dans des chiffres de ventes associés à Michael Jackson. En 2008, les 104 millions d’exemplaires vendus dans le monde avancés dans les spots publicitaires étaient un argument marketing utilisé pour la promotion du support “Thriller 25th” mais il ne reposait sur aucune base vérifiable.
En regardant de plus près le problème posé par ces certifications de la RIAA, on peut contester sans forcément être de mauvaise foi : un best-of des Eagles dépasse “Thriller” de 5 millions d’exemplaires sans que celui-ci, – excepté une année – n’ait enregistré de meilleures ventes annuelles depuis sa dernière certification de 2006.
Et on peut aussi s’interroger sur les certifications de la RIAA attribuées aux autres artistes, y compris Michael Jackson. On ne peut pas douter de la suprématie de l’album “Thriller” aux USA et dans le monde. Il y a des résultats dans les charts basés sur des ventes réelles dans les années 80, des semaines passées en tête des classements qui ne souffrent d’aucune contestation. Sans parler de l’impact culturel de “Thriller”.
Mais, il faut aussi comprendre que les méthodes ont changé, tout comme les supports. Les équivalences qui sont faites entre des chansons achetées en ligne, des chansons simplement écoutées et des CDs achetés dans le commerce peuvent laisser perplexe.
Par exemple en France (le SNEP) , comme aux USA et dans d’autres pays, les écoutes en streaming sont converties en « équivalent ventes ».
La méthode du SNEP est la suivante :
Méthode de conversion streaming/ ventes d’album : On additionne les volumes d’écoutes en streaming de tous les titres d’un album – le titre le plus écouté est divisé par 2- et on divise ces volumes par 1000 pour obtenir l’équivalent-ventes.
Pour faire clair : Un album écouté 10 millions de fois sur les plateformes comme Spotify ou Deezer générera donc 10.000 ventes, intégrées dans le calcul final. [chartsinfrance.net].
Ainsi, le streaming peut aujourd’hui propulser un artiste au rang de star pour des millions de vues ou d’écoutes même si dans les faits il ne vend que quelques dizaines de milliers d’albums.
Voilà pourquoi, il est souvent hasardeux de comparer les ventes des albums dans les années 70-80 avec les chiffres avancés aujourd’hui , que ce soit les classements dans les charts ou les résultats des “ventes”.
Est-ce que cela veut dire que l’œuvre de Michael Jackson est dépassée par de jeunes chanteurs qui établissent des millions de vues/d’écoutes en quelques jours ou dont l’addition des streamings aux chiffres de ventes physiques vient masquer le fait que les gens achètent moins fréquemment leurs albums?
Chacun est juge. Mais on a un peu l’impression, avec l’ère du streaming, qu’aujourd’hui, tout le monde est star :
Un chanteur ou une chanteuse peut ainsi dépasser un record de Michael Jackson dans les charts….en vendant beaucoup moins de disques que le Roi de la Pop.
Des sons en écoute gratuite qui tournent en boucle sont considérés comme des ventes. On a le droit de rester songeur et perplexe. Est-ce que douter du système c’est être de mauvaise foi ? Pas forcément.
Il est normal de s’interroger et d’être en quête de sens lorsque l’on ne comprend pas. Surtout quand on sait qu’il existe une fraude au streaming que ce soit pour des artistes français ou, avec l’affaire TIDAL, des stars américaines.
Nul ne sait si nous aurons un jour une preuve indiscutable des chiffres de ventes des albums certifiés par la RIAA, mais vous n’êtes pas obligés de tout accepter.
Et si vous doutez, poser une question, c’est déjà avoir un début de réponse…
Sources : ukmix / MJLegend